Extrait de mon livre "Attractivité de l'économie tunisienne aux investissements directs étrangers"
Il ressort de tout ce qui précède que la décennie des années 1990 a été caractérisée par la recrudescence des politiques d’ajustements structurels au niveau des PED, en général, et des PSEM en particulier, et ce, en vue d’amorcer la croissance économique via l’ouverture sur l’extérieur et la consolidation du rôle du secteur privé dans le développement. Ces politiques économiques ont visé également l’attraction des IDE afin de financer la croissance et le développement et de faciliter le décollage économique.
Néanmoins, le volume des IDE, leur mix sectoriel, leur intensité capitalistique et technologique et leur impact sur l’emploi ont été jugés en deçà des attentes des PSEM, la Tunisie entre autres, malgré la performance relativement meilleure de cette dernière au niveau du groupe, d’où l’émergence de la problématique suivante :
Est-ce que l’attractivité réduite, de facto de l’économie tunisienne aux IDE est stricto sensu structurelle ?
Dans ce cas, y a-t-il un potentiel d’attractivité latent ?
Comment consolider, développer et concrétiser ce potentiel d’attractivité ?
En examinant les développements théoriques et empiriques sur l’IDE, on note la rareté des études faites sur la question de l’attractivité d’un pays d’accueil donné aux IDE. Les études empiriques se sont concentrées sur les effets positifs des IDE sur les économies d’accueil, essentiellement en développement, et plus précisément sur les bienfaits du transfert technologique. D’autre part, en dépit du fait que les FMN constituent le vecteur principal des IDE, la question de concentration du capital, la dynamique des structures des marchés, la théorie des jeux au niveau d’un nombre relativement réduit d’intervenants majeurs au niveau d’un marché donné et l’impact des IDE sur les économies d’origine n’ont pas été suffisamment développés notamment au niveau de la littérature spécialisée anglo-saxonne, et par les chercheurs des pays développés en général …
Devant cette myopie analytique, la question de l’attractivité d’un pays d’accueil donné nous amènerait à la question de l’équilibre délicat, difficile et instable entre les déterminants de l’offre des IDE par les FMN, in facto des pays développés, et des déterminants de la demande des IDE par les économies en développement.
L’offre des IDE est en interaction avec un environnement économique international instable, en pleine mutation, et en relation avec un environnement politique international hautement hiérarchisé. L’environnement économique international est caractérisé par la globalisation des marchés, de la production et de l’entreprise. Cette dernière traduite par la recrudescence des FMN a engendré la transformation des oligopoles nationaux des pays développés vers des oligopoles internationaux via les fusions-acquisitions et les IDE croisés…d’où l’accentuation du degré de concentration du capital au niveau national, sectoriel et mondial.
Les FMN, en suivant des stratégies de coordination , de confrontation, ou de négociation entre-elles, ou vis-à-vis des gouvernements des pays d’accueil, ont fait émerger des déterminants théoriques et empiriques de l’offre d’IDE. Ces déterminants d’ordre structurel ou d’ordre incitatif ont évolué, entre autres, à cause de la concurrence qui s’est créée entre les Etats d’accueil pour attirer plus d’IDE et de meilleure qualité.
Les Etats d’accueil piégé dans une situation de dilemme du prisonnier (mais plus complexe) se sont contraints à maximiser une fonction d’objectifs en mutation continue… La dynamique des déterminants a fait émerger via un mécanisme de défense des pays d’accueil, l’efficacité de l’intégration régionale comme instrument de refonte des déterminants d’ordre structurel et d’abaissement du niveau des incitations fiscales et financières des pays d’accueil de la région.
De plus, en analysant les dynamiques de l’offres de l’IDE sur le plan des flux annuels, des stocks, et sur les plan sectoriel et géographique, on constate la concentration structurelle et chronique des IDE au niveau :
- des flux et des stocks au profit des pays développés ;
- des entrées et sorties au profit des pays développés ;
- de la triade (Etats-Unis, Union Européenne et Japon) pour les pays développés ;
- d’une seule région du monde (Asie du Sud, de l’Est et du Sud-Est) pour les pays en développement ; et
- d’une poignée de pays au niveau des pays en développement (Chine, Honk-Kong, les pays qualifiés de dragons et/ou de tigres de l’Asie).
On constate donc que les IDE ne vont pas au PED qui en ont le plus besoin pour leur développement et pour l’éradication de la pauvreté. De plus, ils ne s’avèrent pas plus stables que les autres sources de financement (locales essentiellement).
En dépit de cette rigidité structurelle de la dynamique mondiale des IDE, les PED n’ont pas cessé de vouloir attirer les IDE d’où l’émergence d’un consensus quasi universel sur leur nécessité pour le développement et la croissance. Par conséquent, le début des années 1990 a enfanté un projet d’un Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) émis par les pays développés au niveau de l’OMC. Néanmoins, cette tentative a échoué pour maintes raisons :
- l’inadéquation des structures de libéralisation des investissements pour les PED ;
- la sensibilité politique de la libéralisation des investissements
- la concentration du projet sur les revendications des FMN et les pays d’origine et non sur les pays d’accueil ;
- l’importance non uniforme de la question entre les pays ;
- et enfin la sensibilité de la question de discrimination entre investisseurs étrangers.
De surcroît, les implications du consensus sur la nécessité des IDE pour le financement du développement et de la croissance entre pays développés et PED ont révélé que la problématique relative à l’attractivité demeure insuffisante. Le souci d’attirer plus d’IDE pour un nombre plus grand de pays en développement n’est qu’une partie du problème et la face apparente de l’iceberg. En bénéficier pour le développement et la croissance économique et éradiquer la pauvreté constituent la tâche la plus difficile. De plus, même si l’on stimule les IDE par des mesures incitatives fiscales, institutionnelles et autres, les effets ne peuvent pas se sentir immédiatement, mais de manière différée.
L’attractivité de l’économie tunisienne aux IDE par comparaison aux PSEM est satisfaisante. Néanmoins, en comparant ses performances par rapport aux PECO et à la Fédération de Russie,…, les performances sont à consolider. Les pays africains comme les PSEM souffrent d’un malus d’attractivité constaté aux niveau de leur performance par comparaison à d’autres PED économiquement et structurellement comparables. Et ceci à cause de la détérioration du climat régional des affaires depuis le début des années 1990 et du climat mondial des affaires depuis les événements du 11 septembre 2001. D’autre part, les difficultés soulevées au niveau du processus de Barcelone et l’intégration sud-sud au niveau des PSEM, a fait transférer l’attractivité de toute la région des PSEM vers des blocs économiques plus et mieux intégrés au niveau des autres PED à savoir le MERCOSUR, l’ASEAN, les PECO de l’Europe des 25…
Ceci témoignerait d’un potentiel d’attractivité latent considérable, non pas seulement pour la Tunisie mais pour les PSEM et l’Afrique toute entière. Pour le cas tunisien, ce potentiel a été freiné par le caractère différé des répercussions des politiques économiques structurelles au cours des années 1990 et jusqu’à aujourd’hui. La construction d’un avantage comparatif en matière d’attraction des IDE nécessiterait plus d’une décennie. Notons également que les politiques économiques en matière d’attraction des IDE nécessiteraient une évolution adéquate de la stratégie et une réactivité supérieure aux mouvements et aux positionnements stratégiques des FMN au niveau des secteurs jugés prioritaires au niveau de la politique de développement économique de la Tunisie. Cette réactivité ne pourrait être établie que via une évaluation avant-gardiste et périodique des politiques publiques passées et futures…
Une grande partie des IDE drainés par l’économie tunisienne se sont concentrés dans le secteur énergétique. La décennie 1990 a connu un changement de structure des IDE dans le secteur des industries manufacturières traduit par le recul de la part des industries textiles (créatrices d’emplois non qualifiés et féminins essentiellement) au profit des industries mécaniques et électriques plus intensives en facteur capital et actifs intangibles (technologiques et managérials).
N’oublions pas que la stratégie de promotion des IDE a évoluée sensiblement depuis la signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne, de la stabilisation des grands équilibres macro-économiques et de l’encouragement du partenariat entre entreprises européennes (françaises en grande partie) et tunisiennes visant le marché local, vers l’incitation des entreprises off-shore à devenir on-shore, l’accélération de la création, la restructuration du tissu industriel, et enfin la restructuration du secteur public.
Il faudrait remarquer aussi que la conduite des politiques économiques pour l’attraction des IDE futurs se confronte en fait un dilemme stratégique majeur : le ciblage des petites FMN trans-européennes, dont le niveau technologique est relativement proche de celui des entreprises tunisiennes performantes (les champions nationaux) donnerait l’opportunité aux entreprises tunisiennes de bénéficier du transfert technologique . Cependant, ces petites FMN trans-européennes ne présentent pas de stratégies globales. Quant au ciblage des FMN très compétitives qui ont des stratégies globales qui réaliseraient des « filiales ateliers » en Tunisie il pourrait intégrer l’économie tunisienne (sous certaines conditions…) dans les réseaux internationaux commerciaux et financiers. Remarquons que ces entreprises pourraient altérer les politiques de développement des acteurs publics et privés nationaux…
Quoiqu’il en soit, à la marge de ce dilemme , certaines recommandations pourraient être données afin d’améliorer l’attractivité de l’économie tunisienne aux IDE à savoir :
- la diversification de l’origine géographique des nouveaux investisseurs ;
- la compression des coûts de transport et de communication et l’amélioration de la plate-forme des infrastructures existante.
- La relance de l’intégration maghrébine afin de donner un effet multiplicateur à l’attractivité …
Notons pour terminer que l’enjeu stratégique de la politique tunisienne en matière d’attractivité des IDE est fonction :
- de l’importance que les autorités accordent aux IDE dans la politique d’industrialisation et de développement économique du pays ;
- des nouvelles contraintes de l’investissement international ; et
- des mutations de l’environnement international à savoir :
- le degré d’acidité de la concurrence internationale entre les FMN et entre les blocs économiques régionaux et sa répercussion sur le climat international des affaires ; et
- la suppression des mesures incitatives via l’AGCS.
- De l’amélioration de la productivité des entreprises tunisiennes sur le plan national, régional, et international ;
- Et enfin de l’amélioration de l’efficacité de l’Administration, comme régulateur de l’activité économique, décideur économique, gestionnaire de l’économie publique, et garant de l’environnement et de l’attractivité de l’économie tunisienne aux IDE.
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